CHAPITRE IV

 

—      C’est un diorama tridi à très grande échelle, pas vrai? reprit le Terrien tandis qu’ils longeaient l’allée bordée de buissons chargés de fleurs odorantes. Avec tous les accessoires: cadre végétal, atmosphère mouvante, foyer photo-thermique à l’image du soleil et sans doute cycles biologiques?

—      Bien sûr. L’astéroïde possédait une cavité naturelle en forme de bulle aplatie d’à peu près trois mille mètres de diamètre, on l’a aménagée. Le lac n’est qu’une piscine de même longueur sur deux cents mètres de large seulement, il y avait suffisamment de glace incluse dans les failles pour fournir l’eau nécessaire et on a fait pousser sur la pente des vrais arbres et de la vraie herbe. Tout le reste n’est qu’une projection optique destinée à magnifier le cadre dans une perspective illimitée

—      Admirablement réalisée en tout cas! On n’arrive pas à distinguer le raccordement entre le réel et l’image... Mais dans quel but un travail aussi colossal? Eeyo n’est quand même pas le domicile de ta race, cette technique vient d’ailleurs et vous n’auriez pu la développer si près de nous sans que nous nous en apercevions.

—      Imagine seulement que nous aimons nous entourer du cadre de vie qui nous convient même si ce n’est qu’à titre provisoire. Sois patient, Maître chéri, toutes les explications viendront à l’heure où elles doivent venir... Mais nous sommes arrivés.

 

Sur cette nouvelle terrasse baignée par le pseudo-soleil, deux personnages assis à une table richement servie se levèrent en voyant leurs hôtes apparaître et s’avancèrent pour les accueillir. Le couple se composait d’une femme très brune avec un visage mat aux traits d’une hiératique beauté et un corps dont les lignes sculpturales étaient moulées dans une longue robe amarante brodée d’arabesques d’or. Elle n’était plus de la première jeunesse, quelques minuscules rides griffaient les angles de ses paupières bleuies dont les cils recourbés ombraient les grands yeux d’améthyste, mais elle n’en était pas moins séduisante, tout au contraire elle était l’image même de la femme sûre de son pouvoir. Repris par de vieux souvenirs scolaires, Jorge la compara à la déesse grecque Héra en lui accordant toutefois plus de féminine sensualité que la fable n’en prête à l’épouse-sœur de Zeus — mais personnellement il continuait à préférer l’aphrodisiaque Shô.

A côté de la belle Heewigienne se tenait un être qui, par plus d’un détail morphologique devait appartenir au sexe masculin, le premier de ce genre que les visiteurs avaient l’occasion de voir de près depuis leur arrivée. Plus petit que sa compagne, plus frêle également, il avait des cheveux blond platine soigneusement ondulés et des yeux d’une curieuse couleur d’opale. Sa taille était étonnamment mince et, s’il n’eût arboré de fines moustaches et un collier de barbe de même ton que sa chevelure, on aurait pu à bon droit hésiter à son sujet, d’autant que ses vêtements noir et argent étaient de fine soie brochée et qu’il était paré d’au moins trois fois plus de bijoux que la royale maîtresse de céans. Evidemment, continuait à soliloquer le Terrien, dans cette étrange race, l’homme constitue une minorité, il n’en prend donc que plus de valeur. C’est l’objet rare que l’on désire et que l’on se doit de choyer, c’est lui le sexe faible. Étant donné que dans toutes les civilisations suffisamment évoluées pour avoir inventé l’amour en sublimant l’instinct matériel de reproduction, ce sexe faible représente le tout-puissant symbole du désir et devient en réalité le plus fort des deux sous son apparence d’obéissante humilité... La voix de Shô le tira de ses réflexions.

—      Voici la Noble Dame Rann’dji, souveraine de Heewig, et son époux en titre le Libre Homme Ogounh. Maîtresse, je te présente Ava, Jorge et Wolan qui m’ont acceptée et ont bien voulu venir parmi nous.

—      C’est un grand honneur et une grande joie pour mon peuple et pour moi, répondit la reine d’une voix au timbre chaud. Quels sont les gestes de salutation dans votre monde?

—      On se serre la main, sourit Ava. Quand on se connaît mieux, on peut aussi s’embrasser.

—      J’espère que nous en arriverons bientôt là et je suis certaine qu’Ogounh partage mon sentiment, il suffit de voir la façon dont il vous regarde.

—      Je m’excuse d’avoir ainsi trahi mon admiration pour Ava, elle est si belle... Je souhaite qu’elle pardonne mon impolitesse et j’espère que tu ne m’en veux pas non plus, Rann.

La voix du jeune homme était nette, cordiale et sans trace d’afféterie. L’instinctive prévention causée par son costume trop précieux s’effaçait devant son sourire franc et légèrement teinté d’humour.

—      Tu sais bien que je ne suis pas jalouse, répondit Rann’dji, je serais au contraire très déçue si tu ne trouvais pas adorable notre nouvelle amie. Seulement songe qu’elle a déjà la chance de posséder deux époux dignes d’elle et tâche de ne pas t’attirer leur colère, Wolan en particulier pourrait t’écraser entre le pouce et l’index. Mais nous perdons notre temps à bavarder alors que vous devez avoir faim.

—      Vous aussi, fit Jorge, et nous sommes navrés de vous avoir fait attendre. Ce n’était pas de notre faute...

—      Je sais. Vous avez été retardés par votre passage dans l’imprégnateur sémantique. C’est moi qui aurais dû m’astreindre à apprendre votre langue au lieu de vous imposer cette peine, mais j’ai pensé que vous préféreriez qu’il en soit ainsi. Vous serez davantage des nôtres et vous nous connaîtrez mieux.

—      Vous nous avez enrichis et nous vous en remercions...

Tout en échangeant ces propos, ils s’approchaient de la table où Jorge constata avec un léger sursaut que cinq couverts seulement étaient disposés. Il allait en faire la remarque lorsque Rann’dji se tourna vers Shô.

—      Je te remercie de tout ce que tu as fait jusqu’à présent, tu as parfaitement accompli ta mission. Je ne doute pas que tes nouveaux maîtres te plaisent et que tu seras heureuse avec eux. Pour l’instant tu peux te retirer et retourner dans leur appartement.

D’un geste instinctif, Jorge saisit le poignet de la jeune femme qui faisait déjà un pas pour s’éloigner et il ouvrait la bouche pour manifester son sentiment lorsqu’Ava le devança.

—      Pourquoi chassez-vous notre camarade? interrogea-t-elle d’une voix dangereusement douce.

—      Mais parce que c’est une Serve et que l’usage interdit aux Serves de partager le repas de leurs Maîtres. Elle le sait très bien et ne peut s’en formaliser.

—      Serve peut-être, mais elle n’est plus à vous, vous nous l’avez donnée. Chaque race a ses coutumes particulières et les nôtres sont différentes des vôtres : l’esclavage n'existe pas chez nous, tous les êtres sont libres et égaux. Puisque, de par votre volonté, Shô fait maintenant partie de notre équipage, elle est devenue une citoyenne de notre Fédération et a droit aux mêmes statuts que nous. Nous ne sommes pas trois mais quatre!

Les sourcils de la reine se haussèrent avec un sincère étonnement, la situation la dépassait visiblement. Ogounh fit un pas en avant et prit la parole à son tour.

—      Il est de fait que Shô ne nous appartient plus et que c’est à nos hôtes de décider à son sujet. Ils sont nobles tout autant que nous sinon davantage et s’ils veulent...

—      Cette noblesse est-elle héréditaire chez vous, coupa Jorge, ou bien un membre de la caste asservie peut-il y avoir accès?

—      Il le peut bien que ce ne soit pas fréquent. Le titre est plutôt une question de fortune que de sang.

—      Et je suis pauvre... murmura la jeune femme.

—      Tais-toi, jeune et charmante idiote, fit Ava. Tu es membre de notre équipe et par conséquent tu possèdes automatiquement un quart de tous nos biens, c’est-à-dire de nos royalties et même de notre vaisseau. Voilà pour la question de fortune et quant à ce titre lui-même si on daigne nous le reconnaître, il est le tien également.

—      Nous sommes prêts à l’admettre, acquiesça le Libre Homme. Il demeure cependant un petit détail à régler : les personnes de notre rang et donc du vôtre se doivent de posséder au moins une Serve et c’était pour satisfaire à cet usage que nous vous en avions envoyé une, Shô a dû vous le dire. Mais nous allons vous en offrir une autre et même plus, si cela vous plaît.

—      Inutile, déclara aimablement Wolan, il se trouve que nous en avons déjà un. Il se nomme Théodore et c’est le pilote de notre vaisseau. Il en est responsable et il lui est tellement attaché qu’il ne peut même pas le quitter, c’est pourquoi vous n’avez pas encore fait sa connaissance. Croyez que nous vous remercions sincèrement de votre généreuse intention...

Avec un léger rire de soulagement, Rann’dji pressa un bouton d’appel, se tourna vers la jeune Serve qui apparut en réponse dans l’encadrement de la porte du chalet.

—      Mets un sixième couvert pour la Noble Dame Shô’ounh, ordonna la souveraine et dépêche-toi d’apporter les plats, nous mourons de faim.

***

Du point de vue gastronomique, ce déjeuner fut pareil à ce que sont tous les repas privés entre V.I.P. de toutes les races humanoïdes dé la Galaxie, c’est-à-dire somptueusement délectable en nourritures et en boissons. Certes les éléments de base et les préparations culinaires étaient exotiquement spécifiques, mais les trois envoyés du Kraft Holding Trust Limited étaient depuis longtemps accoutumés aux modes d’alimentation les plus divers. Après tout, les sources de protides, lipides et glucides sont en définitive partout semblables même si la forme des animaux ou végétaux dont elles sont tirées diffèrent; en outre les papilles gustatives ne sont pas capables d’identifier plus de quatre saveurs : salé, sucré, acide et amer, tout le reste est affaire de bonne volonté et d’autosuggestion. D’ailleurs il n’est pas besoin de franchir les parsecs par centaines pour voir apparaître dans son assiette et son verre des substances inhabituelles, il suffisait déjà à nos ancêtres du vingtième siècle de faire quelques quarts d’heures de vol aérien pour passer du bifteck frites arrosé de Beaujolais au gigot bouilli à la menthe servi avec une chope de bière noirâtre ou une tranche de roquefort recouverte de confiture d’orange amère et propulsée dans l’œsophage à l’aide de trois décilitres de lait bien crémeux. Chez les Heewigiens, la mode était de faire alterner les viandes épicées avec des pâtisseries et, bien que déconcertante de prime abord, cette sorte de programmation se révélait rapidement fort agréable par le jeu des contrastes que les vins intensifiaient — tous étaient capiteux et chargés en alcool, mais volontairement secs et même âpres quand les mets étaient doux et inversement. Etonnante symphonie de dissonances à laquelle Wolan fut le premier à rendre un complet hommage, absorbant à lui seul autant que le reste des convives réunis. Il est utile de remarquer à ce propos que la seule personne qui, toute proportion de masse corporelle gardée, fît preuve d’une capacité analogue, était Rann’dji ; elle ne paraissait nullement soucieuse de comptabiliser les calories et faisait confiance à son excellent métabolisme pour sauvegarder l’impeccable perfection de sa ligne; Ava nota avec intérêt cet indice évident de sensualité chez leur très noble et très royale hôtesse. Ceux qui se montrèrent les plus frugaux furent le Libre Homme Ogoung et Shô, le premier se contentait de picorer délicatement tout comme l’eût fait une femme terrienne du meilleur monde et la seconde avait été bien trop récemment élevée à sa nouvelle dignité de Noble Dame pour ne pas encore se sentir intimidée et bourrée de complexes. Mais on se rendait compte que cette relative inhibition ne serait pas durable, ses voisins immédiats, Jorge et Wolan, l’y encourageaient de leur mieux et elle bénéficiait en outre de l’exemple de la Centaurienne assise en face d’elle entre la reine et son prince consort, si radieusement à son aise.

Quant à la conversation qui anima d’un bout à l’autre ce long repas, elle fut aussi passionnante que variée mais à aucun moment elle n’aborda le sujet théoriquement essentiel de la technique d’usinage de l’osmium et des conditions dans lesquelles elle pouvait être acquise par l’industrie de la Fédération des Planètes Unies. Dès le début, Rann — elle avait exigé que ses honorables hôtes fassent abstraction de la particule nobiliaire pour souligner qu’elle les accueillait sur un plan d’égalité — Rann avait été formelle sur ce point. Se penchant vers la flamboyante chevelure de sa voisine, elle lui avait demandé :

—      J’espère que vos obligations professionnelles ne sont pas telles que votre temps soit compté et que vous pourrez nous faire le plaisir de séjourner avec nous?

—      Nous sommes des collaborateurs du Kraft mais nous ne sommes pas sous sa dépendance absolue et nul ne peut nous imposer des délais dans l’accomplissement de nos missions. On ne nous juge que sur nos résultats, pas sur le temps que nous avons mis à les obtenir.

—      Tout est donc pour le mieux. Le... marché dont nous aurons à débattre est pour Heewig d’une trop grande importance et il présente des implications trop nombreuses, trop vastes même, pour que nous en abordions l’exposé dès la première heure. Il est indispensable que vous sachiez d’abord tout de nous, que vous viviez notre vie, que nous nous assimilions les uns aux autres en quelque sorte. Disons que je vous demande de passer une semaine de vacances sur Eeyo qui, Shô vous l’a dit, n’est qu’un lieu intermédiaire mais qui est cependant intégralement calqué sur notre milieu d’origine. Après quoi nous nous rendrons dans notre véritable monde. Là seulement, vous serez en mesure de juger en pleine connaissance de cause et de déterminer ce que vous pouvez nous apporter en échange de ce que nous pouvons vous offrir. D’ici là, nous ne parlerons ni de technique ni de contrat. Acceptez-vous cet interlude?

La Centaurienne n’avait pas besoin de consulter ses camarades pour connaître leur opinion. Comme d’habitude, leurs trois cerveaux fonctionnaient sur la même longueur d’onde et celui de Shô qui avait désormais voix au chapitre en tant que quatrième partenaire se devait évidemment de s’accorder sur la fréquence. Ava plongea la flamme verte de son regard dans l’améthyste transparente des royales prunelles où se lisait une étrange anxiété.

—      Avec joie, Rann!

 

Le premier développement sur les particularités de la race heewigienne fut fourni un peu plus tard par Shô qui trouvait ainsi l’occasion de vaincre les restes de son complexe d’infériorité; elle se retrouvait dans son domaine familier de biologiste. Ainsi qu’elle l’avait déjà laissé entendre, la disproportion des sexes n’était pas réellement due à un phénomène de parthénogénèse, la reproduction était bel et bien assurée par la méthode classique : la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde et les deux gamètes s’unissaient suivant le même voluptueux processus que chez les Terriens, Siriens, Centauriens ou autres mammifères. Seulement il se trouvait que le gène mâle avait dégénéré depuis des temps passablement reculés et pour des causes mal définies, il était devenu récessif, entraînant la dominance du X. Si bien que la formule caryocytaire du produit engendré avait beaucoup plus de chances de donner un sujet femelle — XX — qu’un sujet mâle — XY. Le reste, la suprématie sociale des femmes et parallèlement la relative soumission des hommes s’ensuivait tout naturellement. C’était mieux et davantage qu’un matriarcat, c’était l’aboutissement équilibré d’une évolution particulière.

Quant aux mœurs et plus spécialement le comportement sexuel, elles découlaient inévitablement de cet état de choses. Le nombre de mâles disponibles était faible et par surcroît la haute caste se taillait la part du lion : chaque Noble Dame en avait un. Pour les Serves, cela n’en laissait plus beaucoup, un pour sept en moyenne, la cellule familiale était donc constituée sur cette base recréant ainsi le principe du harem, bien qu’en réalité la similitude ne soit qu’apparente. Dans les civilisations polygames terriennes ou autres, en effet, seuls les hommes riches possédaient plusieurs femmes et demeuraient maîtres de répartir entre elles leurs faveurs suivant leur bon plaisir, tandis que sur Heewig, c’était au contraire la caste inférieure qui se trouvait contrainte à vivre de cette façon, la monogamie était un luxe et la polygamie une règle. En outre, c’était l’homme qui appartenait à la petite communauté féminine et non le contraire. C’étaient ses épouses qui décidaient entre elles de l’équitable répartition de ses devoirs conjugaux.

Même comme cela il restait encore une quantité appréciable de Serves esseulées, mais elles n’en étaient pas pour autant condamnées à une morose virginité. Les unes, les plus jeunes et les plus jolies, s’employaient comme servantes d’une Noble Dame et étaient à ce titre appelées à la seconder dans ses divertissements amoureux; pour les autres, il existait quelques maisons accueillantes, la prostitution n’était nullement immorale, elle était seulement exclusivement masculine. L’important était de perpétuer la race...

De toute façon et puisqu’il n’existait pas de tabous ni d’interdits religieux proclamant que Dieu a eu tort de doter l’être humain de zones érogènes et que tout ce qui touche au sexe est chose honteuse, on considérait à juste titre que l’assouvissement de la volupté était aussi normal et aussi nécessaire à l’équilibre vital que celui de la faim ou de la soif et qu’il n’était pas obligatoire pour cela que les partenaires soient anatomiquement différents ni même que leur nombre soit impérativement fixé au chiffre deux. La Grande Prêtresse Sappho et sa cour de belles adoratrices rassemblées sur l’île de Lesbos ne se seraient pas trouvées dépaysées si elles avaient été réincarnées sur Eeyo...

***

Obéissant à sa programmation, l’image solaire commençait à s’incliner sur celle des montagnes lorsque le repas prit fin. Rann se leva, rendant à ses hôtes leur liberté.

—      Agissez selon votre gré, fît-elle. Eeyo est tout entière à vous ainsi que son peuple. Aucune porte ne vous sera jamais fermée. Belle Ava, poursuivit la souveraine en passant son bras autour des épaules de la jeune Centaurienne, vous êtes peut-être fatiguée par votre long voyage, et vous avez envie de vous reposer?

—      Absolument pas, Rann, je ne me suis jamais sentie aussi dispose.

—      En ce cas, vous plairait-il de visiter ma demeure? Il me sera infiniment agréable de vous en faire les honneurs, Ogounh m’aidera à la rendre encore plus accueillante pour vous.

A son tour, Ava enlaça la taille de Rann’dji.

—      Votre désir est le mien, Reine...

Quand le trio eut disparu à l’intérieur du grand chalet, Wolan considéra ses deux camarades avec une expression amusée.

—      J’ai bien l’impression que le tour du propriétaire va durer un bon moment, il doit y avoir beaucoup de belles choses à découvrir et à examiner de très près, surtout quand on s’y met à trois... Inutile donc de l’attendre et, personnellement, je pense que je vais profiter de la liberté qui nous est accordée pour commencer une étude sociologique plus approfondie de la race. J’ai vu que le village des Serves se trouve en bas au bord du lac et il n’est pas très grand, je ne risque pas de me perdre.

—      Ce n’est pas tellement sûr, sourit ironiquement Shô. Je ne parle pas de la topographie de l’agglomération, mais il y a quand même près d’un demi-millier de filles là-dedans et elles ont toutes été choisies jeunes et dynamiques à tous points de vue. Comme l’a dit Rann’dji, les portes s’ouvriront sans nul doute devant vous, mais je crains que vous ne les repassiez pas aussi facilement dans l’autre sens. Je sais bien que vous êtes de taille à survivre aux pires épreuves, mais vous êtes-vous déjà trouvé au milieu d’une horde de jeunes louves affamées? Ce n’est qu’une simple image, d’ailleurs, ce n’est pas avec leurs dents qu’elles vous dévoreront.

—      J’accepte le risque au nom de la science. A bientôt.

—      A un de ces jours... soupira Jorge d’un air compatissant.

Après avoir un instant suivi du regard la puissante silhouette qui descendait allègrement le chemin vers la rive du lac, Jorge s’empara du bras de Shô, repassa l’allée fleurie qui conduisait à la terrasse de la demeure réservée aux voyageurs de l’Erika. A l’entrée de la salle de séjour, ils furent accueillis par la profonde révérence d’une mince et gracieuse jeune fille qui, après une rituelle formule de salutation, s’éclipsa dans les profondeurs de l’appartement. Dans la haute et large cheminée qui se dressait sur le côté, la servante avait allumé un grand feu de bûches crépitantes, et le regard du Terrien se fixa sur l’épaisse fourrure étendue devant l’âtre. Il entraîna sa compagne vers cette attirante couche, serra contre lui la souple taille flexible, colla sa bouche aux lèvres tièdes qui s’ouvraient à son baiser. Il glissa une main le long du dos tiède, commença à dégrafer la robe, s’interrompit subitement et s’écarta d’un pas.

—      Pardonne-moi, ma trop désirable Shô, je crois que j’étais sur le point de manquer à toutes les règles de la bienséance. Jusque au début de cet après-midi, tu étais légalement ma propriété et je pouvais te soumettre à mes exigences mais maintenant tu es une Noble Dame et je te dois le respect.

Elle eut un ironique sourire et, sans bouger de place, acheva de libérer l’étoffe soyeuse qui glissa le long de ses hanches, dévoilant sa troublante nudité que la danse des flammes animait de reflets d’or rouge et d’ombres mystérieusement attirantes. D’un geste irrésistiblement évocateur, elle remonta les mains le long de ses flancs polis, enserra en une lente caresse la tendre courbe de ses seins dont les pointes durcirent.

—      Ava m’a dit tantôt que j’étais une idiote, c’est à moi maintenant de te retourner le mot. Je suis et je serai toujours ton esclave, mon amour... Mais si tu tiens absolument à ce que j’agisse comme une Maîtresse, ce sera donc moi qui vais te prendre et me repaître de toi jusqu’à ce que tu cries grâce.

La jeune servante qui, avec une très coupable indiscrétion, était silencieusement revenue se tapir derrière la porte entrebâillée, ne perdit pas une miette des scènes qui se déroulèrent ensuite, mais elle fut incapable de dire lequel des deux acteurs fut vainqueur du combat; le match se termina à égalité des points. Songeuse, elle retourna vers l’office préparer le repas du soir, tout en murmurant.

—      J’espère que cet étranger connaît les lois de notre peuple et que j’aurai aussi ma petite part...